Choderlos de Laclos - Les liaisons dangereuses.pdf

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Fvrier 2001
Les liaisons dangereuses
Pierre LACLOS
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PREMIÖRE PARTIE
LETTRE PREMIÖRE
CCILE VOLANGES ¼ SOPHIE CARNAY
aux Ursulines de...
Tu vois, ma bonne amie, que je te tiens parole, et que les
bonnets et les pompons ne prennent pas tout mon temps;
il m'en restera toujours pour toi. J'ai pourtant vu plus de
parures dans cette seule journe que dans les quatre ans
que nous avons passs ensemble; et je crois que la superbe
Tanville aura plus de chagrin ma premire visite, o je
compte bien la demander, qu'elle n'a cru nous en faire
toutes les fois qu'elle est venue nous voir in fiocchi.
Maman m'a consulte sur tout; elle me traite beaucoup
moins en pensionnaire que par le pass. J'ai une Femme
de chambre moi; j'ai une chambre et un cabinet dont je
dispose, et je t'cris un Secrtaire trs joli, dont on m'a
remis la clef, et o je peux renfermer tout ce que je veux.
Maman m'a dit que je la verrais tous les jours son lever;
qu'il suffisait que je fusse coiffe pour dner, parce que
nous serions toujours seules, et qu'alors elle me dirait
chaque jour l'heure o je devrais l'aller joindre l'aprs-
midi. Le reste du temps est ma disposition, et j'ai ma
harpe, mon dessin et des livres comme au Couvent; si ce
n'est que la Mre Perptue n'est pas l pour me gronder, et
qu'il ne tiendrait qu' moi d'tre toujours rien faire: mais
comme je n'ai pas ma Sophie pour causer et pour rire,
j'aime autant m'occuper.
Il n'est pas encore cinq heures; je ne dois aller retrouver
Maman qu' sept: voil bien du temps, si j'avais quelque
chose te dire! Mais on ne m'a encore parl de rien; et
sans les apprts que je vois faire, et la quantit d'Ouvrires
qui viennent toutes pour moi, je croirais qu'on ne songe
pas me marier, et que c'est un radotage de plus de la
bonne Josphine. Cependant Maman ma dit si souvent
qu'une Demoiselle devait rester au Couvent jusqu' ce
qu'elle se marit, que puisqu'elle m'en fait sortir, il faut
bien que Josphine ait raison.
Il vient d'arrter un carrosse la porte, et Maman me fait
dire de passer chez elle tout de suite. Si c'tait le
Monsieur? Je ne suis pas habille, la main me tremble et
le coeur me bat. J'ai demand la Femme de chambre, si
elle savait qui tait chez ma mre: ¹vraiment, m'a-t-elle
dit, c'est M. C***.º Et elle riait. Oh! je crois que c'est lui.
Je reviendrai srement te raconter ce qui se sera pass.
voil toujours son nom. Il ne faut pas se faire attendre.
Adieu, jusqu' un petit moment.
Comme tu vas te moquer de la pauvre Ccile!
Oh! j'ai t bien honteuse! Mais tu y aurais t attrape
comme moi. En entrant chez Maman, j'ai vu un Monsieur
en noir, debout prs d'elle. Je l'ai salu du mieux que j'ai
pu, et suis reste sans pouvoir bouger de ma place. Tu
juges combien je l'examinais! ¹Madameº, a-t-il dit ma
mre, en me saluant, ¹voil une charmante Demoiselle, et
je sens mieux que jamais le prix de vos bonts.º ¼ ce
propos si positif, il m'a pris un tremblement tel, que je ne
pouvais me soutenir; j'ai trouv un fauteuil, et je m'y suis
assise, bien rouge et bien dconcerte. J'y tais peine,
que voil cet homme mes genoux. Ta pauvre Ccile
alors a perdu la tte; j'tais, comme a dit Maman, tout
effarouche. Je me suis leve en jetant un cri perant;
tiens, comme ce jour du tonnerre. Maman est partie d'un
clat de rire, en me disant: ¹Eh bien! qu'avez-vous?
Asseyez-vous et donnez votre pied Monsieur.º En effet,
ma chre amie, le Monsieur tait un Cordonnier. Je ne
peux te rendre combien j'ai t honteuse: par bonheur il n
'y avait que Maman. Je crois que, quand je serai marie,
je ne me servirai plus de ce Cordonnier-l.
Conviens que nous voil bien savantes! Adieu. Il est prs
de six heures, et ma Femme de chambre dit qu'il faut que
je m'habille. Adieu, ma chre Sophie; je t'aime comme si
j'tais encore au Couvent.
P.S. - Je ne sais par qui envoyer ma Lettre: ainsi
j'attendrai que Josphine vienne.
Paris, ce 3 aot 17**
LETTRE II
LA MARQUISE DE MERTEUIL AU VICOMTE DE
VALMONT
au Chteau de...
Revenez, mon cher Vicomte, revenez: que faites-vous,
que pouvez-vous faire chez une vieille tante dont tous les
biens vous sont substitus? Partez sur-le-champ; j'ai
besoin de vous. Il m'est venu une excellente ide, et je
veux bien vous en confier l'excution. Ce peu de mots
devrait suffire; et, trop honor de mon choix, vous devriez
venir, avec empressement, prendre mes ordres genoux:
mais vous abusez de mes bonts, mme depuis que vous
n'en usez plus; et dans l'alternative d'une haine ternelle
ou d'une excessive indulgence, votre bonheur veut que ma
bont l'emporte. Je veux donc bien vous instruire de mes
projets: mais jurez-moi qu'en fidle Chevalier vous ne
courrez aucune aventure que vous n'ayez mis celle-ci
fin. Elle est digne d'un Hros: vous servirez l'amour et la
vengeance; ce sera enfin une rouerie de plus mettre dans
vos Mmoires: oui, dans vos Mmoires, car je veux qu'ils
soient imprims un jour, et je me charge de les crire.
Mais laissons cela, et revenons ce qui m'occupe.
Madame de Volanges marie sa fille: c'est encore un secret;
mais elle m'en a fait part hier. Et qui croyez-vous qu'elle
ait choisi pour gendre? Le Comte de Gercourt. Oui
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